Homélie pour les ordinations diaconales d’Yves Lebaudy et Didier Pingault

Ordinations diaconales d’Yves Lebaudy et de Didier Pingault.

Bayeux – 12 Novembre 2017

 

« Jésus verse de l’eau dans un bassin. Il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture». (Jn 13,5)

 

Frères et sœurs

L’eau du bassin rappelle l’eau qui lave, qui purifie, rafraîchit. Il suffit de se souvenir de la parole de Bernadette à Lourdes « En lavant ton visage, prie Dieu de purifier ton cœur ». En lavant les pieds de ses disciples, y compris Judas, Jésus leur offre le pardon du Père par la communion et la tendresse. Il offre le pardon à Pierre qui va le renier trois fois. Il lave les saletés de leurs pieds en signe de purification de leur cœur.  Il faut rappeler qu’on baisait les pieds d’un seigneur à l’époque de Jésus. C’est à Pierre qu’il va confier son Eglise. Il y aura toujours la tentation du pouvoir spirituel ou du cléricalisme à la place de la responsabilité assumée comme un service. Jésus connaît leur besoin de s’affirmer et d’être important. Jésus lave aussi les pieds de Judas pour lui montrer à quel point il continue de l’aimer. Il connaît son avidité pour l’argent, sa jalousie. Il veut le libérer des forces du mal. Jésus lui offre, à lui aussi, le pardon du Père comme il l’offrira à ses bourreaux en disant : « Père pardonne leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ».

 Laver les pieds : Le sens véritable de l’amour.

Nous savons que ce geste était réservé aux esclaves. Il arrivait qu’un disciple accepte ce service pour son maître. Le fait que ce soit Jésus qui fasse ce geste est scandaleux pour les disciples. C’est la raison pour laquelle Jean commence ce chapitre par « ayant aimé les siens ». Tous les gestes de Jésus durant son ministère public traduisaient déjà cet amour de Dieu pour le monde et les disciples auraient dû comprendre. Dans le texte du lavement des pieds, il y a la révélation du sens du véritable amour. Le service peut devenir ambigu et même se transformer en pouvoir. Jésus abolit la volonté de puissance souvent camouflée sous le dévouement, le service et même l’amour humain. Ce ne sont pas les mains mais les pieds que Jésus lave. On peut penser aux pieds missionnaires qui iront de par le monde, sans volonté de puissance. Comme l’écrit Isaïe : « Qu’ils sont beaux les pieds qui portent la Bonne Nouvelle » (Is 52,7)

Jésus manifeste comment l’autorité peut se transformer en service de communion.

Jésus  lave les pieds de ses disciples pour les envoyer à pieds sur les chemins de la vie, sur la route que l’Esprit- Saint leur indiquera, dans la pauvreté (Lc 9,1-3) comme lui-même l’a vécu. Par son geste il invite les disciples à ne pas chercher les honneurs mais plutôt à être  serviteurs doux et humbles de cœur, à son image. Jésus ne renie pas qu’il a enseigné avec fermeté et autorité, mais il montre une autre voie que celle du pouvoir : celle de la confiance et de l’amour. Elle implique une petitesse et une pauvreté nouvelles. En se mettant à genoux devant ses disciples, Jésus montre son désir profond d’abattre les murs qui séparent les maîtres des esclaves. Il veut rassembler tous les enfants de Dieu dispersés. Devenu lui-même pauvre et vulnérable, Jésus révèle à ses amis que le pauvre ou le plus faible peut devenir source d’unité.

Les gestes parlent souvent mieux que les paroles. Jésus révèle une nouvelle fraternité pour le monde, celle de Dieu. C’est la révélation du Royaume de Dieu, de la communion des vivants du ciel et de la terre. C’est la façon d’entrer dans un nouveau monde. Dans aucune culture, aucun maître ne fait ce geste. Un chef est un chef. Le vainqueur antique posait le pied sur la nuque du vaincu. La folie du geste de Jésus rappelle la folie de la croix qui va l’identifier au criminel et à l’abandonné de Dieu. Et pourtant, c’est par ce geste qu’il sauve l’humanité. Une manière d’instaurer, avec chacun des disciples, une communion d’amour.

 

Au nom du Christ Serviteur

Yves et Didier vont être ordonnés diacres dans notre diocèse comme récemment des diacres ont été ordonnés dans nos diocèses voisins. Les communautés chrétiennes ont encore beaucoup de mal à comprendre le sens du diaconat. Si l’Europe, avec le continent Américain ont favorisé le diaconat à la différence de l’Afrique, c’est sans doute à cause de raisons culturelles. Le service n’est pas la valeur fondamentale de notre culture postmoderne et encore moins de notre société individualiste où c’est l’égo qui domine. Nous le savons, ce qui compte dans notre monde, c’est ce qui se compte. Le diacre révèle au cœur de notre société qu’il n’y a pas de relation authentiquement humaine sans cette dimension de service. Comme le dit ce grand scientifique qu’était Gaston Bachelard : « Au commencement est la relation ». Il faudrait ajouter : la relation de don et de service, et non celle du pouvoir et de la domination. Un proverbe dit : « Abondance de biens. Pauvreté de liens ». Oui, le diaconat est un don de Dieu pour notre monde occidental comme il est une grâce pour l’église de notre pays. Dans notre société il faut être fort, être riche et puissant pour exister. Mais on n’aime pas les puissants, on les admire ou bien on les envie. Seul le petit est capable d’aimer et d’être aimé et de créer des liens. Ce sont souvent les petits qui ont de vrais amis. Les riches ont des relations pour leur fortune mais pas de vrais amis. Heureux celui qui accepte de devenir petit sans craquer ni crâner. Il ploie comme le roseau sous la tempête mais il résiste alors que le hêtre magnifique, son voisin, vient d’être déraciné. Oui, Yves et Didier, acceptez d’être petits à la suite de Jésus non pas en vous méprisant mais en vous réconciliant avec cette part de pauvreté qui demeure au fond de chaque être humain. Comme le rappelait la petite Thérèse de l’Enfant Jésus : Les petits tombent souvent sans se faire mal et ils se relèvent vite après quelques larmes. Ou comme aimait le dire Martin Luther King : «  Si tu ne peux être pin au sommet du coteau, sois broussaille dans la vallée…Ce n’est pas par la taille que tu vaincras mais par la force d’aimer, quoi que tu sois ». Yves et Didier, rappelez vous que nous sommes comme un crayon entre les mains de Dieu, un humble instrument destiné à apporter au monde l’amour de Dieu comme le rappelait Mère Térésa. Il ne suffit pas de servir les pauvres, Jésus nous invite à les aimer pour qu’ils deviennent des frères.

Or, le diacre rappelle à toute l’église qu’elle est appelée à servir au nom du Christ Serviteur. Il nous faut toute une vie pour comprendre ce que signifie le service du frère, car il faut accepter d’être dépossédé et purifié de tout désir de pouvoir. Au moment du lavement des pieds, Jésus dit à Pierre : « Ce que je fais, tu ne le sais pas maintenant, tu comprendras plus tard ». Qui mieux que Tagore, ce sage hindou décédé il y a cinquante ans, pouvait écrire à la fin de sa vie :

« Je dormais et je rêvais que la vie n’était que joie.

Je m’éveillais et je vis que la vie n’est que service.

Je servis et je compris que le service est joie ».

 

                                                                                        Jean-Claude BOULANGER

                                                                                         Evêque de Bayeux – Lisieux

 

A télécharger au format PDF, l’homélie de Mgr Boulanger pour les ordinations diaconales d’Yves Lebaudy et Didier Pingault.

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