Solidarité et écologie, mission impossible ?

Le titre de la journée du samedi 18 mars au Centre d’Études Théologiques de Caen semblait provocateur, mais l’apparente contradiction entre les deux mots n’en était pas une. Il s’agissait pour l’intervenante de présenter la complémentarité de deux encycliques, rédigées à près d’un demi-siècle d’écart : Populorum progressio (Paul VI, 1967) et Laudato Si’ (François, 2015) à l’occasion du cinquantenaire de la première. Populorum Progressio, sur le développement des peuples proposait le thème de la solidarité internationale tandis que la question écologique est au cœur de Laudato Si’.  « Si on force le trait de l’une ou l’autre, on pourrait opposer deux points de vue : s’occuper des humains passe avant s’occuper des fleurs et des oiseaux ! Oui, mais si l’eau est polluée, les humains sont condamnés ! » nous a dit l’intervenante en introduction.

 

Elena Lasida

Originaelena_lasida_portrait-219x300ire d’Uruguay, Elena Lasida anime le Master Economie Sociale et Solidaire à l’Institut Catholique de Paris. Elle est aussi chargée de la mission « Écologie et Société » pour le service Famille et Société de la Conférence des évêques de France, avec la mission d’accompagner la réception de Laudato Si’ dans les diocèses de France. Elle participe enfin à un groupe de travail œcuménique chargé d’élaborer un label « église verte » et de proposer des processus de conversion écologique.

Voici les points saillants de ses interventions.

A/ Trois points communs entre les deux Encycliques :

 Ce sont deux des encycliques « historiques » qui abordent des thématiques nouvelles dans l’enseignement social de l’Église. Avec Populorum progressio, la question sociale ne se limite plus à la société occidentale. Avec Laudato Si’ c’est la question écologique qui apparaît pleinement dans la doctrine sociale de l’Église.

Ce sont des paroles d’Église nourries par le travail et l’expérience de la base. Populorum progressio avait été inspirée par les travaux d’un dominicain, le P. Lebret, après ses voyages en Amérique Latine. Laudato Si’ est largement nourrie par les travaux des diverses conférences épiscopales.

Elles impliquent toutes les deux une posture de dialogue.Dans Populorum progressio, il s’agit du dialogue nord-sud. Mais l’on peut se référer aussi à la précédente Encyclique du Pape Paul VI en 1964 Ecclesiam Suam dans laquelle il évoquait une Église « qui se fait conversation ».  Dans Laudato Si’, le dialogue se constate par l’alternance des chapitres entre ce qui se passe dans le monde et ce que dit l’Église. Dans le chapitre 5, toutes les pistes d’action sont formulées en termes de dialogue. Cela implique pour le chrétien une posture particulière : être capable de se laisser déplacer par la position de l’autre qui a une vérité que l’on doit entendre.

B/ Mais aussi des différences majeures liées à des contextes différents à 50 ans d’écartAvec Elena Lasida

 Entre les deux encycliques, le contexte a changé, le monde a changé. Pour Populorum Progressio, le développement économique devait être pour tous, pas seulement pour les pays du Nord. Il s’agissait de donner un accès à l’avoir et au savoir, de partager la croissance. C’était le contexte de l’après colonialisme, le plein boom de la croissance, de la mondialisation économique. Le mur de Berlin était le symbole d’une fracture entre le capitalisme et le communisme.

Aujourd’hui, le modèle de la croissance économique sur lequel le Nord s’est développé ne marche plus. La mondialisation, la finance, posent des questions nouvelles ; des pays d’Asie se sont développés d’une manière inimaginable il y a 50 ans. Nous sommes confrontés aux limites du progrès. La question écologique nous fait prendre conscience des limites des ressources. Il nous faut donc changer de modèles, s’appuyer sur des « paradigmes nouveaux » (Laudato Si).

C/ Alors sur quels piliers communs s’appuyer pour l’avenir ? Dans leur contenu, les deux encycliques parlent d’économie en lien avec le social. Dans les deux, on retrouve 3 principes :

Tout est lié : C’est le refrain de Laudato Si’ disant que la nature et l’humain sont interdépendants. Le terme n’apparaît pas dans Populorum progressio, mais une notion centrale qui s’en rapproche : le « développement intégral » de tout homme, de tout l’homme dans toutes ses dimensions (physique, psychique, sociale…) et de tous les hommes. Dans Laudato Si’ l’écologie intégrale est la notion centrale. Le développement concerne toutes les créatures. Il s’agit d’être en communion avec les êtres vivants. Dans l’écologie, il se joue quelque chose de notre rapport à Dieu.

Tout est donné : Dans Populorum progressio il était dit que « le développement est le nouveau nom de la paix ». Le principe de la destination universelle des biens est premier par rapport au droit à la propriété. Dans Laudato Si’, l’expérience du don est centrale ; tout le monde a une place dans la « maison commune », chacun doit pouvoir s’y sentir chez lui, cohabiter avec les autres. L’expression « amour civil » y apparaît. Les biens de la terre ne nous appartiennent pas, ils sont à recevoir comme un cadeau.

Tout est fragile : La fragilité, la pauvreté, sont présentes dans les deux documents. Dans Populorum progressio, elle était associée aux pays du Sud. Le superflu des pays riches doit servir aux pays pauvres ; il s’agissait de combler un manque ; on y évoquait la redistribution, l’assistance aux faibles, de transfert du Nord au Sud.

Laudato Si’ définit autrement le développement. Il invite à y associer une qualité de relation avec les êtres vivants. La fragilité y est plus large que celle des seuls hommes. Le Nord a une dette écologique vis-à-vis des pays du Sud.

 À « la clameur des pauvres » en Populorum progressio, s’ajoute « la clameur de la terre » en Laudato Si’ comme au paragraphe 49 : « une vraie approche écologique se transforme toujours en approche sociale, qui doit intégrer la justice dans les discussions sur l’environnement, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres. ». Mais la fragilité peut être source d’inventivité. Elle conduit à une nouvelle manière de penser la création. Nous sommes tous conduits à des déplacements, à inventer une nouvelle manière de vivre. Il s’agit d’en finir avec la « culture du déchet ».

Le défi qui nous est lancé : Pour Elena Lasida et comme nous le répète le Pape François, il faut donc initier des processus pour inventer ensemble quelque chose de nouveau, chacun devant être prêt à donner et à recevoir des autres. Ne pas avoir d’avance la solution est une chance, c’est l’espérance qui nous met en marche, ouverts à du nouveau, le meilleur possible pour les hommes et pour la planète.

A noter : pour poursuivre le travail amorcé ce jour, une lecture suivie de l’Encyclique Laudato Si’ est proposée l’an prochain au CET (le lundi après-midi, de mars à mai 2018), il s’agira de s’interroger sur les suites concrètes à donner, en s’appuyant aussi sur le nouveau document proposé par les évêques de France, Nouveaux modes de vie, l’appel de Laudato Si’ paru en mars 2017.

                                                                                                          Pascaline Lano

 

 

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