75 ans, un âge canonique

Ce 1er mars 2020, Monseigneur Jean-Claude Boulanger aura 75 ans or : « L’Évêque diocésain qui a atteint soixante-quinze ans accomplis est prié de présenter la renonciation à son office au Pontife Suprême[1] qui y pourvoira après examen de toutes les circonstances» (c.401 §1).

C’est donc le diocèse de Bayeux et Lisieux lui-même qui est touché par un tel événement à condition que cette renonciation soit effectivement acceptée par le Saint-Père. Dans cette hypothèse, le diocèse se retrouve, pour un temps, sans Évêque. Mgr Boulanger en est l’Évêque émérite et le siège épiscopal de Bayeux est déclaré vacant et le prénom de l’Évêque ne sera plus nommé dans la Prière eucharistique. Lors de la messe, les fidèles du diocèse ne peuvent plus prier pour un Évêque qu’ils n’ont pas.

Que se passe-t-il alors ? Qui administre le diocèse ? Comment sera nommé le nouvel Évêque de Bayeux et Lisieux ? Progressons pas à pas en suivant le Droit canonique de l’Église.

La vacance du siège

C’est dans l’attente d’un nouveau pasteur que la vie du diocèse se poursuit. Le grand principe durant cette vacance du siège est : « sede vacante nihil innovetur : Le siège vacant, aucune innovation ne doit être introduite » (c.428 §1). Ce qui importe est que ni le diocèse ni le nouvel Évêque ne voient leurs droits amoindris durant cette période transitoire. Même si on ne peut éviter des changements dus aux nécessités de la vie ils doivent être mineurs, le nouvel Évêque devant trouver, en quelque sorte, son diocèse dans l’état où il était au départ de son prédécesseur. (c.428 §2).

Dans un premier temps, le Vicaire général, les Vicaires épiscopaux, et les membres du Conseil épiscopal perdent leur charge. Le Conseil presbytéral et le Conseil diocésain de pastorale cessent d’exister. La stabilité de l’Église diocésaine est assurée par la permanence de quelques offices et organismes. Chancelier, Économe, Official (ou Vicaire judiciaire) restent en fonction[2]. Ces offices témoignent de la vigilance de l’Église puisque ces personnes veillent au respect du droit, à la bonne gestion des biens et à l’exercice de la justice. Les organismes qui demeurent sont le Collège des consulteurs qui garantit la continuité du gouvernement diocésain et le Conseil pour les affaires économiques qui apporte son concours pour l’administration des biens.

Qu’est-ce que le Collège des consulteurs ? Il est constitué par l’Évêque diocésain qui nomme librement au moins six et au maximum douze prêtres choisis parmi les membres du Conseil presbytéral[3] (c.502 §1), sachant que dans leur grande majorité les membres du Conseil presbytéral sont élus par leurs pairs. Auprès de l’Évêque, ce collège intervient pour les actes  d’administration les plus importants (c.1277). Durant la vacance du siège, le Collège des consulteurs remplit les fonctions du Conseil presbytéral (c.501 §2).

Un administrateur

Dans l’attente d’un nouvel Évêque, le mécanisme de prise en charge du gouvernement du diocèse se met en place avec la nomination d’un administrateur.

Le Siège apostolique[4] peut avoir pris des mesures pour pourvoir au gouvernement provisoire du diocèse. On parlera alors d’un administrateur apostolique. Cet administrateur peut être l’Évêque émérite lui-même mais un autre Administrateur apostolique peut également être nommé. Les facultés dont dispose cet Administrateur apostolique sont fixées par le Saint-Siège

Si cette nomination d’un Administrateur n’émane pas du Siège apostolique, elle se fera au niveau du diocèse, et on parlera alors d’un Administrateur diocésain. Le Collège des consulteurs dispose d’un délai de huit jours à partir de la déclaration de vacance du siège pour procéder à l’élection de cet Administrateur diocésain. Celui-ci doit être prêtre (ou Évêque) ; âgé de trente-cinq ans accomplis et à la doctrine et à la prudence éprouvées ! (c.425). Il n’est pas nécessairement membre du Collège des consulteurs.

Les modalités de cette élection sont fixées par le droit. (cc.424 ; 165-178 ; 119 §1). Pour l’essentiel, la majorité absolue est requise aux deux premiers tours, le troisième et dernier tour porte sur les deux candidats ayant obtenu le plus grand nombre de voix. Et s’il y a égalité des voix, c’est le prêtre le plus âgé qui est retenu.

L’Administrateur doit assurer le gouvernement du diocèse jusqu’à la prise de possession du nouvel Évêque diocésain. Il préside le Collège des consulteurs et le Conseil pour les affaires économiques. Il peut donner le sacrement de confirmation et accorder la faculté de l’administrer. Mais il ne touche pas à l’organisation fondamentale du diocèse, par exemple : il ne peut pas ériger une paroisse ni nommer un curé (sauf après une année de vacance du siège, c.525 2°). Toute nomination serait faite à titre provisoire, tel un Administrateur pour une paroisse dans l’attente d’un curé. Ces indications ne sont pas exhaustives, elles permettent simplement d’illustrer le grand principe du « sede vacante nihil innovetur ».

Comment se termine ce temps de vacance ? Par la prise de possession canonique du diocèse par l’Évêque nouvellement nommé (c.430§1). Le principe général de cette nomination est « Le Pontife Suprême nomme librement les Évêques » (c.377 §1) mais comment, de Rome, peut-il nommer un Évêque pour le diocèse de Bayeux et Lisieux ?

Un nouveau pasteur

De façon habituelle et au moins tous les trois ans, il est demandé aux Évêques de chaque Province de proposer, d’un commun accord et en secret, au Siège apostolique une liste de prêtres les plus aptes à l’épiscopat. Chaque Évêque demeure libre de faire personnellement d’autres propositions (c. 377 §2). Qui peut-être Évêque ? Les éléments donnés par le Droit constituent une aide au discernement : « 1° qu’il ait, à un degré élevé, une foi solide, de bonnes mœurs, la piété, le zèle des âmes, la sagesse, la prudence et les vertus humaines, et qu’il soit doué par ailleurs des autres qualités qui le rendent capable d’accomplir l’office dont il s’agit ; 2° qu’il jouisse d’une bonne renommée ; 3° qu’il ait au moins trente-cinq ans ; 4° qu’il soit prêtre depuis cinq ans au moins ; 5° qu’il ait obtenu le doctorat ou au moins la licence d’Écriture Sainte, de théologie ou de droit canonique dans un institut d’études supérieures approuvé par le Siège Apostolique, ou qu’il soit au moins vraiment compétent en ces matières. » (c.378 § 1).

En vue d’une nomination à un siège épiscopal précis, le Nonce apostolique[5] propose trois noms au Siège apostolique (c. 377 §3). Pour dresser cette liste, il effectue une consultation large, approfondie, secrète et individuelle qui peut être faite tant auprès du clergé, des religieux et laïcs du diocèse de nomination que du diocèse d’origine du clerc. À côté de cette consultation, le Nonce effectue aussi une enquête pour établir la carte d’identité du besoin du diocèse.

Cette liste des trois noms, avec les fruits du travail de consultation, est d’abord transmise à la Congrégation pour les Évêques. Celle-ci l’étudie et peut solliciter d’autres avis. Cette étude faite, la Congrégation valide (ou revoit…) ces candidatures et vote. Le résultat du vote établit un ordre de préférence, il est alors est proposé au Saint Père qui choisit. L’intéressé est alors informé par le Nonce. Il a toute liberté d’accepter ou non la charge. En cas de refus, un autre clerc sera alors appelé. Enfin, en France – pour les diocèses non concordataires – une simple consultation des autorités politiques a alors lieu. Tout ce processus nécessite le secret le plus absolu même si l’expérience témoigne parfois de fuites malencontreuses.

À travers ce processus, l‘Église témoigne du soin particulier qu’elle porte au fait de confier une portion du Peuple de Dieu à un Évêque pour qu’il en soit le pasteur : dans cette portion du Peuple de Dieu que constitue un diocèse se trouve vraiment présente et agissante l’Église du Christ, une sainte, catholique et apostolique (c. 369).

Marie-Noëlle Bouchaert

Chancelier

[1] Pontife suprême, Saint-Père, Pape sont une seule et même personne !

[2] Ainsi que le Pénitentier : « Prêtre qui a reçu de l’Évêque la faculté ordinaire d’absoudre au for sacramentel des censures latæ sententiæ non déclarées et non réservées au Siège Apostolique » (c.508 §1).

[3] La liste des membres du Collège des consulteurs pour le diocèse de Bayeux et Lisieux a été publiée dans Eglise de Bayeux et Lisieux n° 268 (novembre 2018) et figure dans l’annuaire diocésain 2020 p.39

[4] Siège apostolique ou Saint-Siège

[5] Légat pontifical ou Nonce apostolique. « La charge principale du Légat pontifical est de rendre toujours plus solides et efficaces les liens d’unité qui existent entre le Siège Apostolique et les Églises particulières. » (c .364) En absence de Nonce, le travail est néanmoins effectué.

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