Homélie de Mgr Boulanger pour la clôture de l’enquête diocésaine sur Léonie Martin

Clôture du procès diocésain de Léonie : Soeur Françoise Thérèse – Caen – Visitation 22 Février 2020

De la pauvre Léonie à la bonne Léonie.
Une vie, rien qu’une vie… Celle de Léonie : Une simple goutte d’eau qui est devenue un ruisseau. Ce fut une enfance ballotée par mille sanglots mais un jour offerte à Dieu, de l’océan elle en connaît désormais les flots. Mais alors qu’est ce qui peut ainsi changer la vie ? Si la médecine peut transformer un visage, seul l’amour est capable de le transfigurer. Voilà ce que voudrait nous dire la pauvre Léonie comme l’appelait sa maman, et qui un jour est devenue soeur Françoise Thérèse ici à la Visitation. Sa vie n’a pas été un long fleuve tranquille. Elle a été plus dure que celle dont elle rêvait à 8 ans mais elle a été cent fois plus belle. Car Dieu écrit toujours droit avec les lignes courbes de notre histoire. La grâce divine, bien sûr, ne supprime pas la nature mais la transfigure. Léonie voudrait nous dire que nous n’apprenons qu’une seule chose de la vie : Nous apprenons à aimer et il ne restera de notre vie que l’amour que nous avons mis sur cette terre. Elle a même fait de la religion, un amour à la suite de sa petite soeur Thérèse. Comme le disait sa maman avant de mourir : « J’espère que la bonne semence sortira un jour ». Et son père avait raison de l’appeler la bonne Léonie. Il avait perçu à travers sa fille, un coeur en or.
Léonie a 14 ans au moment du décès de Zélie, la maman. Quand on voit les photos de cette adolescente, on est frappé par ce visage bouffi par l’eczéma et marqué par l’angoisse. Se souvenant de cette période, Léonie parlera d’une enfance exécrable. Elle est allée d’échec en échec. Son caractère indiscipliné et une intelligence peu développée l’ont fait mettre dehors de tout pensionnat. « Elle est couverte de défauts comme d’un manteau » dira la maman quand il lui arrive de désespérer de Léonie. Celle – ci écrira : « Mon enfance et ma première jeunesse se sont passées dans la souffrance, dans les épreuves les plus cuisantes. » Sa soeur ainée, Marie du sacré Coeur, en écrivant ses souvenirs ajoutait : « Léonie était une enfant absolument indisciplinée. Personne ne pouvait en venir à bout. Il n’y avait que la crainte qui la faisait marcher. Elle ne tenait nulle part. Aussitôt qu’on lui laissait un peu de liberté, elle en profitait pour mettre le désordre partout ou bien il arrivait quelque accident<. On ne pouvait jamais être tranquille sur son compte ». Elle n’arrivera pas non plus à trouver sa place dans la fratrie familiale. On pourrait dire que c’est le vilain petit canard de la famille. Ses soeurs sont belles, admirées pour leur charme et leur intelligence. Léonie a l’impression que personne ne l’aime et ne s’intéresse à elle. La mort de la petite Hélène à l’âge de 5 ans va encore approfondir le désarroi de Léonie. Hélène était née un an après elle et ce n’est pas étonnant que la santé de Léonie se dégrade alors un peu plus. Mais ce que les parents ne savent pas c’est que Léonie est victime de Louise, la servante qui la maltraite. À tel point qu’au moment de sa mort en 1941, Léonie devenue soeur Françoise Thérèse, pardonnera à celle qu’elle appellera : « Son bourreau. » On peut donc parler d’une enfance difficile et d’une jeunesse cabossée. « J’ai beaucoup souffert de mon infériorité dira-t-elle. J’ai senti vivement l’isolement du coeur, de tout. » Ce n’est qu’à l’âge de 35 ans qu’elle trouve enfin sa voie, après un essai de vie religieuse à Alençon et 3 essais ici à la Visitation. C’est après la mort de la petite Thérèse que tout va commencer. Elle lui avait promis de prier pour elle. Thérèse avait dit avant sa mort à sa soeur Marie au Carmel de Lisieux : « Après ma mort, je ferai entrer Léonie à la Visitation de Caen et elle y persévérera ». C’est alors que va commencer son chemin de vie religieuse, un chemin fait d’humilité et de confiance, de douceur et de patience à la suite de Saint François de Sales. Au moment de sa profession monastique, elle demandera pardon à ses soeurs du Carmel en écrivant : « Laissez-moi vous redire tous mes regrets et vous demander pardon des peines sans nombre et si grandes que je vous ai faites car je ne peux oublier que j’ai eu une enfance détestable ! »
Tout ceci aurait dû conduire Léonie à la dépression, au repli sur soi ou à un tempérament caractériel. C’est tout le contraire qui va se produire : Elle va mener une vie de consacrée à Dieu, imprégnée de l’amour de Jésus pour chacune de ses soeurs à tel point qu’on peut dire : La bonté même ! C’est un visage de bonté qu’il nous est permis de contempler, reflet de la bonté de Dieu au coeur de notre monde. Elle aurait pu dire comme sa soeur Thérèse : « Plus j’aime Jésus, plus j’aime mes soeurs ! »

Petite soeur Françoise Thérèse ou la petite violette du Bon Dieu.
Dans son enfance Léonie avait été marquée par sa tante visitandine au Mans qu’elle aimait beaucoup et qu’elle admirait. Elle avait dit qu’elle voulait devenir religieuse comme sa tante. « Comment imaginer Léonie religieuse, les mains jointes, tranquille et obéissante ? Mais où va-t-on trouver ces idées-là » écrivait la maman à sa soeur visitandine. Zélie Martin oubliait que la grâce ne change pas forcément la nature mais elle peut la transfigurer. Un être qui se sait aimé et qui sent à son tour cet appel à aimer, est comme transfiguré. Elle ne pouvait imaginer que Léonie allait devenir disciple de Thérèse et mettre en pratique la petite voie de confiance mais à sa manière. Mais si Thérèse était la rose, Léonie a voulu être la petite violette cachée sous les feuilles du rosier. Elle a mis en pratique les conseils de Saint François de Sales : « L’éclat des filles de la Visitation est de n’avoir pas d’éclat. Leur grandeur est leur petitesse ». Lors de sa mort le 17 juin 1941, le cardinal Suhard, archevêque de Paris et ancien évêque de Bayeux-Lisieux écrivait à la communauté des Visitandines ici à Caen : « Soeur Françoise Thérèse fut au milieu de vous l’humble violette qui embaumait le monastère de la sainteté ». Léonie nous fait penser à la petite Bernadette à Lourdes qui disait que la sainte Vierge l’avait ramassée comme un caillou. Léonie aime se comparer à une bûche anonyme et que Jésus embraserai du feu de son Esprit. Elle a souvent dit à ses soeurs son désir d’être oubliée. Cela sera si vrai que l’évêque du diocèse en 1937 à la basilique de Lisieux parlera des soeurs de Thérèse qui sont comme un cadeau pour le diocèse et il oubliera de nommer Léonie. Elle a vraiment été oubliée, même par les papes qui parlaient volontiers des soeurs de Thérèse au carmel sans nommer Léonie.
Elle a voulu rester petite pour que Jésus la prenne dans ses bras et la conduise sur le chemin de la vie. « Je veux être si petite que Jésus se voie forcé de me garder dans ses bras » écrit-elle. Comme le dit encore Saint François de sales : « Les forts, Dieu les prend par la main. Les faibles, Dieu les prend dans ses bras ». Au fond Léonie nous fait découvrir que le chemin de sainteté auquel nous sommes tous invités au nom de notre baptême consiste dans l’offrande de notre faiblesse et de notre pauvreté. Léonie s’est réconciliée avec ses faiblesses et les blessures de la vie. Elle en a fait un chemin d’offrande à Dieu. Comme l’écrit Bernanos à la fin du Journal d’un curé de Campagne : « Il est plus facile que l’on croit de se haïr. La grâce est de s’oublier. Mais si tout orgueil était mort en nous, la grâce des grâces serait de s’aimer humblement soi-même, comme n’importe quel membre souffrant de Jésus Christ ». Et il ajoutait dans un autre texte : « Les pauvres, le petits sauveront le monde comme malgré eux et sans le savoir parce qu’ils laisseront Dieu le sauver à travers eux ».

Quand paraît la faiblesse !
Dans notre société, il faut paraître fort, il faut être IBM, c’est-à-dire : Intelligent, Beau et Mobile. Ce sont les 3 grands critères de la réussite. Or Jésus dans l’Evangile nous dit que nous sommes IBG, c’est-à-dire Ivraie et Bon Grain. Il n’y a pas que des fleurs dans notre vie, il y a de la mauvaise herbe comme dans nos jardins. La vie ressemble à un bouquet de roses : Il y a les belles roses et les épines. Il faut tout prendre. Mais que faire des épines ? Quand la faiblesse apparaît dans notre vie, elle nous fait mal et parfois elle nous humilie. Elle a 1000 façons de se présenter à nous : il y a la faiblesse physique, morale, affective, relationnelle, et même spirituelle. L’image idéale que nous avons de nous-mêmes vole en éclat. Lorsque nous sommes faibles, fragiles, limités, nous devenons inquiets et désemparés de manière plus ou moins brutale. La fragilité blesse en nous le rêve de perfection, de puissance, qui se trouve au plus profond de nous-mêmes. Nous cachons d’abord cette faiblesse et parfois nous la nions avant de l’accepter. L’humiliation est le fait d’être blessé dans notre orgueil. Comme la nature a horreur du vide, nous allons combler ce manque par une soif de biens ou par un activisme débordant. La faiblesse peut provoquer en nous la déprime. Certains vont s’enfermer sur eux-mêmes et rompre toutes relations. La faiblesse est sans doute l’une des réalités humaines les plus difficiles à gérer. Il est difficile de passer de l’humiliation à l’humilité. Et pourtant comme dit Thérèse d’Avila : « il nous faut passer par beaucoup d’humiliations pour acquérir un peu d’humilité » ! L’humilité est du côté de la réconciliation avec l’humus qui est en nous, avec cette part de fragilité qui nous habite. Notre pauvreté, notre faiblesse deviennent alors des lieux de rencontre avec le Seigneur et avec nos frères. Rappelons-nous que c’est du côté blessé du Christ, du côté du coeur transpercé c’est-à-dire de l’Amour humilié que jaillit la grâce de Dieu. Souvenons-nous que c’est toujours à travers les failles de l’histoire que Dieu inscrit sa présence. Quand nous nous sentons faibles et fragiles tournons-nous vers la Vierge Marie appelée l’humble servante et le modèle de l’humilité.
Saint Paul se lamentait sur ses échecs, ses faiblesses. Il a communié à la croix du Christ. Il a rappelé aux communautés de Corinthe que cette croix était peut-être une folie à leurs yeux mais quelle était le Salut pour le chrétien. Il va leur montrer que la faiblesse est le chemin que Dieu a choisi pour rejoindre les hommes. « Ma grâce te suffit dit le Seigneur à Paul : car ma puissance se déploie dans la faiblesse ». (2° Cor. 12,9)

Conclusion
Le chemin de sainteté auquel nous sommes tous appelés n’est pas un chemin de perfection comme nous l’imaginons. Cela s’appelle du stoïcisme. Personne sur cette terre n’est parfaitement équilibré et ne mettons jamais quelqu’un sur un piédestal fusse-t-il évêque ou prêtre. Nous en voyons les conséquences dans notre Eglise. Nous avons tous des handicaps et des blessures de la vie. Le chemin de sainteté auquel nous appelle Jésus consiste dans l’offrande de nos pauvretés à Dieu. Il est capable de changer l’ivraie en un bel épi de blé. Comme le dit Saint Augustin : « Mieux vaut trébucher sur le chemin que de marcher hors de la route ». C’est ce que Dieu a fait avec la vie de Soeur Françoise Thérèse. O bonne Léonie, toi qui étais habitée de la Bonté de Dieu, répands dans nos coeurs ces trésors de bonté. Ta vie n’était qu’une goutte d’eau. Un jour elle devint ruisseau. De l’océan, Dieu t’en a fait connaître les flots sur lesquels voguent les bateaux. Oui ma vie, votre vie, chers amis, n’est qu’une goutte d’eau. Amen.
+ Jean-Claude Boulanger
Evêque de Bayeux – Lisieux

Homélie de Mgr Boulanger pour la clôture du procès diocésain de Léonie

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