Homélie de Mgr Boulanger pour l’ordination diaconale de Patrick Groult, Pierre-Yves Lano et Pierre Laurent

Cathédrale de Bayeux – Dimanche 6 Octobre 2019 – Ordination des Diacres : Patrick Groult – Pierre Yves Lano et Pierre Laurent

                               Frères et sœurs,

Nous venons d’entendre à l’instant même cette dernière phrase de l’Evangile : « Nous sommes de simples serviteurs…Nous n’avons fait que notre devoir ». (Luc 17,10) Servir …Ce n’est pas un mot à la mode. Le Pape s’appelle le Serviteur des serviteurs. L’Evêque est d’abord le serviteur de son peuple, de son diocèse. On ne sert bien que ceux qu’on aime vraiment, ceux pour lesquels on est prêt à donner sa vie. Rappelez-vous cette parole de Tagore, ce sage hindou décédé il y a un peu plus de  50 ans.     « Je dormais et je rêvais que la vie n’était que joie. Je m’éveillais et je vis que la vie n’est que service. Je servis et compris que le service est la joie ». Il faut toute une vie pour comprendre cela. Au moment du lavement des pieds dans l’évangile, Jésus dit à Pierre : « Ce que je fais, tu ne le sais pas maintenant, mais tu comprendras plus tard ». Il y a beaucoup de choses que nous ne comprenons pas dans l’immédiat de notre vie.  Au cœur de leur mission nos futurs diacres rappellent à la communauté humaine et chrétienne que le service est une dimension fondamentale de l’être humain.

Juste avant sa mort, Jésus pose un geste ultime qui est comme son testament : c’est le lavement des pieds des disciples. C’est parce que Jésus a donné sa vie que l’on dit « avant et après Jésus-Christ ». Seuls ceux qui donnent leur vie, fécondent l’histoire humaine. Voilà la gloire de Jésus, Il peut dire alors cette parole « Qui s’abaisse sera élevé». Jésus n’a pas développé un sentiment de mépris de lui-même. S’abaisser ne veut pas dire se mépriser, se dévaloriser. Jésus n’a jamais dit que la culpabilité était signe de sainteté. Il est plus facile de se mépriser que de s’aimer avec humilité. Mais le danger qui nous guette est beaucoup plus de vouloir nous mettre sur un piédestal. Pas plus celui qui se met sur le piédestal que celui qui se met sous la table, ne s’aime avec humilité. Le contraire de l’orgueil ce n’est pas l’humiliation mais l’humilité. Cela consiste à se réconcilier avec ses pauvretés, avec son humus. Alors le chemin de sainteté que nous propose Jésus n’est rien d’autre que l’offrande de nos pauvretés.

Notre monde d’aujourd’hui ne rencontrera le Christ que dans le don de notre vie. La première forme de témoignage du missionnaire, c’est sa vie même, c’est une vie donnée. Madeleine Delbrêl écrivait : « Nous ne pouvons pas donner la foi, mais nous, nous pouvons nous donner. La foi a mis Dieu en nous. Nous pouvons la donner en même temps que nous ». Le rayonnement apostolique est inséparable du don de notre vie.  Ce qui est surprenant, c’est que ce don de nous-mêmes devient source de joie et de fécondité. « C’est en se donnant que l’on reçoit, dit François d’Assise. C’est en s’oubliant que l’on se trouve soi-même ».

« Le Seigneur étendit la main et me toucha la bouche. Il me dit : « Je mets dans ta bouche mes paroles » (Jér. 1,9)

Nos frères diacres ont choisi ce texte de Jérémie pour nous montrer qu’ils sont aussi serviteurs de la Parole de Dieu. Comme pour Jérémie, il est dit que c’est Dieu qui met sa parole dans leur bouche. Cela suppose d’abord de se mettre à l’écoute de la Parole de Dieu, de la méditer mais surtout d’en vivre. On témoigne davantage par ce que l’on est que par ce que l’on dit. Vous savez que l’on chante « paroles … paroles qui s’envolent » alors que les écrits demeurent. Ne dit-on pas que le silence est d’or et que la parole est d’argent ? D’ailleurs dans le bocage Normand, on entend parfois cette remarque : « On est des faiseux, on n’est pas des diseux » ! On voit bien que dans une certaine culture on se méfie des paroles.  Mais avez-vous remarqué qu’il s’agit ici de la Parole de Dieu… c’est une parole qui s’est faite chair, c’est Jésus, le Verbe dont parle Saint Jean … Il est le visage de Dieu sur notre terre par tout son être… c’est en ce sens qu’il est Parole de Dieu.

Lors de l’ordination des diacres, l’évêque va leur dire : « Recevez l’Evangile du Christ, que vous avez la mission d’annoncer. Soyez attentifs à croire à la Parole que vous lirez, à enseigner ce que vous avez cru, à vivre ce que vous aurez enseigné ». L’Evangile n’est pas fait uniquement pour être lu le dimanche à l’église, il est fait pour être vécu. Saint Augustin écrit : « Annonce ce que tu vis et vis ce que tu annonces ». De même, on ne peut saisir l’eau dans la main. Elle s’échappe entre les doigts. De même, la Parole de Dieu, elle s’échappe entre les raisonnements humains. On ne peut posséder l’eau qu’en la buvant, en la faisant passer dans le corps. De même, on ne peut posséder la foi qu’en la vivant. On ne perd pas la foi comme on perd ses clés de voiture. On la perd simplement en ne la nourrissant pas. La foi, on ne la transmet pas comme une armoire normande à ses petits-enfants. C’est en les invitant à aller à la source, au Christ lui-même, qu’ils seront désaltérés. Même si l’eau du robinet est potable, l’eau de la source est fraîche. Les jeunes générations ont soif de l’eau de la source. Madeleine Delbrêl disait : « L’Evangile est le livre de notre vie… Il n’est pas fait pour être lu mais pour être vécu.  Les paroles de l’Evangile nous pétrissent nous assimilent pour ainsi dire à elles ».  Nos contemporains attendent de nous que nous témoignons de nos raisons de vivre, nos raisons d’aimer, nos raisons de croire. L’homme a besoin de sens, sinon il se déshumanise. Alors, n’hésitons pas à témoigner de cette Parole de Dieu qui nous avons reçue et qui nous fait vivre.

Ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné écrit Saint Paul mais un esprit de force, d’amour et de pondération ». (2° Tim. 1,6-8)

Bien sûr l’Esprit saint nous l’avons déjà reçu à notre baptême. Saint Paul parle d’un esprit de pondération que l’on traduisait autrefois par un esprit de raison. Un jeune étudiant me posait la question : « Comment réagir en face des fractures que vit l’Eglise ? » L’Eglise n’est pas étrangère au climat que vit notre société. Demandons à l’Esprit Saint cet esprit de pondération, de bienveillance vis-à-vis des autres. Jésus n’a jamais dit : « Aimez-vous les uns les uns mais bien les autres ! ». Mais les chrétiens ne sont pas des plantes d’appartement mais des plantes de plein vent. Nous sommes appelés à témoigner de la joie d’être chrétiens au cœur du monde. Et c’est cet esprit de pondération qu’il est important de vivre au travail, en famille, dans la société tout simplement. Face à l’intolérance, à l’agressivité, je vous souhaite chers futurs diacres d’être habités par cet esprit de pondération. Vous nous rappelez que nous sommes invités à devenir la bonne odeur du Christ comme le saint chrême dont vous allez être marqués. Les roses en bourgeons sont belles mais les roses qui viennent d’éclore et qui sont parfumées enchantent le paysage et ceux qui les regardent. Alors rayonnez comme les roses là où Dieu vous a plantés ! Amen

+ Jean-Claude BOULANGER
Évêque de Bayeux – Lisieux

Homélie ordinations diaconales Oct. 2019

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